L’homme à la langue coupée

Dans la cour de récré, c’était à coup de trique qu’on forçait mon père à parler français.
Et malheur à celle ou celui qui n’aurait sorti qu’un seul mot en « patois » devant le maître d’école.
« Patois », c’est de cette façon méprisante qu’on qualifiait l’occitan. Aujourd’hui encore …

Pas digne d’être considérée comme une vraie langue, malgré ses plus de mille ans d’âge, ses troubadours, son prix Nobel Mistral, et sa fabuleuse richesse lexicale…
L’ethnocide -car il faut bien ici employer le mot qui convient- a empiré au fur et à mesure qu’un pouvoir central imposait sa loi, uniformité imposée sous le rouleau compresseur.

Quand j’étais enfant, j’avais commencé à le parler, à l’écoute de mon père et de sa mère qui n’échangeaient qu’en occitan. Et de quelques autres parents ou voisins également.
Puis ma pratique s’est perdue, même si j’arrive aujourd’hui encore à deviner ce qui peut se dire en cette langue qui va si loin dans mes racines.

Le traumatisme de la langue coupée a très durement frappé ces générations nées dans la première moitié du siècle dernier. Et le stigmate du « patois » hante encore aujourd’hui ses anciens locuteurs, innombrables victimes d’une sorte de complexe d’infériorité culturelle.
Tel le poison de la honte et de la soumission.
Je suis le fils d’un homme à la langue coupée. Héritier d’une souffrance en sous-France.
Avec l’insoumission en guise d’anti-dote à l’humiliation…

On lui a dit

Arriéré, Autochtone,
Bouseux, Inculte
Patois, Paysan
Pèquenot, Plouc,
Rustre

Pourquoi ce livre?

Nous publions ce livre pour partager un témoignage touchant sur la manière dont les mots peuvent avoir des impacts néfastes sur la construction des enfants.